Tiré du bimensuel « Paris20 infos et lutte de classe » du Mercredi 29 février (n°2).
« À terme, tous les groupes d’ESH devront devenir des opérateurs immobiliers globaux d’intérêt général, qui obéissent à une logique d’entreprise. »
André Yché, président de la SA d’HLM SNI
Chaque jeudi, au tribunal de la mairie du 20e arrondissement, c’est le jour des procès opposant locataires et propriétaires. Les causes sont nombreuses, les affaires rapidement entendues et le verdict souvent expéditif.
Dans la longue liste des procès, étrangement, le nom de certaines sociétés immobilières revient, un type précis de bailleur réapparaît constamment. AFTAM, ADOMA, SOGEMAC et autres « ESH » : Entreprises sociales pour l’habitat.
Les ESH sont des sociétés anonymes d’HLM. Il en existe 274 dans le pays, sur un total de 800 organismes HLM, certains publics, d’autres privés, et tous soi-disant à but non lucratif. Cette déclaration de principe ne doit pas nous leurrer. Dans la pratique, les ESH ont un cahier des charges et des bilans à tenir, comme n’importe quelle entreprise et, surtout, des objectifs économiques et des actionnaires qui entendent voir fructifier leurs investissements.
Les entreprises sociales d’habitat, donc, veulent faire de l’argent. Avec la distinction que ces entreprises au service des pauvres font profit de la misère, et s’assurent des bénéfices grâce à la clientèle très particulière dont elles se sont fait une spécialité.
En France, le logement est un droit ; il existerait même des lois sensées garantir un toit à chacun. L’Etat, trop heureux de se débarrasser de la difficile question du logement – épine douloureuse dans un talon d’argile -, abandonne le terrain aux sociétés immobilières, et collabore activement avec elles pour qu’elles se chargent de construire, détruire, loger et déloger.
Comment rendre alléchant l’immobilier social ? Pourquoi s’intéresser à une clientèle peu fortunée ? Si vous vous posez ces questions, vous avez déjà commencé à comprendre à quel degré scandaleux d’hypocrisie nous vivons. En effet, la conscience sociale et l’humanisme ne sont pas les moteurs des ESH et autres investisseurs immobiliers. Ces compagnies reçoivent l’aide financière, sonnante et trébuchante, de l’Etat. Elles bénéficient d’exonérations fiscales pour la construction et la rénovation des logements. Elles achètent à rabais des immeubles qu’elles revendront au prix fort dans quelques années, même si au passage elles doivent expulser les locataires. Ces derniers, malgré toute leur infortune, représentent, le temps qu’on voudra bien les laisser vivre entre leurs quatre murs, des revenus assurés : par leur nature même de résidents pauvres, ils sont couverts par l’aide personnalisée au logement (APL), aide versée directement au gestionnaire par l’Etat. Plus les loyers sont élevés, plus cette aide est importante et le comité d’entreprise satisfait.
Si on comprend bien l’intérêt des ESH dans tout ça, on reste malgré tout perplexe devant ce marché de dupe où les mairies et les pouvoirs publics jouent leur rôle avec tant de bonne volonté.
Y a-t-il une morale dans cette histoire ? Peut-être seulement de savoir que l’enfer est pavé de bonnes intentions.
L’AFTAM, depuis sa création en 1962, est devenue une puissance économique au chiffre d’affaire estimé en 2010 à près de 140 millions d’euros.
L’AFTAM bénéficie, dans le cas du 194 rue des Pyrénées (dont l’expulsion immédiate a été prononcée par le tribunal du XXème arrondissement), d’un bail emphytéotique d’une durée de 55 ans, concédé par la mairie contre versement d’une redevance de 97 000 euros ! Autant dire, aux cours actuels de l’immobilier à Paname, la valeur marchande d’une chiotte ou d’un placard…
L’immeuble du 194 rue des Pyrénées, propriété de l’Association AFTAM, a été vendu 10 000 euro à la Société Anonyme d’HLM AFTAM. L’ensemble du parc immobilier AFTAM est en voie de subir le même sort.
En 2009, la société immobilière ICADE, à l’origine filiale de la Caisse des Dépôts et Consignations, créée en 1954 dans l’intention de faire du logement essentiellement social, vendait la totalité de son parc immobilier social, construit sur des fonds publics.