Dimanche 3 juin, rencontre de solidarité avec les jeunes, les familles, les témoins, à 15h devant le Franprix, rue Saint-Blaise
Témoignage de Isabelle, habitante du 20e :
Pour que Nabil ne soit pas mort pour rien
Lundi matin, je me trouvais pas très loin de chez moi, dans le quartier Saint-Blaise. Une mélopée en arabe a attiré mon attention et je me suis approchée. Il y avait plein de fleurs et des mots écrits à la main à la mémoire d´un garçon appelé Nabil. Emue, je suis restée un instant pour me recueillir, car je pense qu´il est important d´honorer la mémoire des morts, surtout quand ils disparaissent si jeunes.
J´ai ensuite croisé des habitants, le quartier était ce jour beaucoup plus animé que d´habitude, des groupes de gens parlaient, je leur ai demandé de quoi il s´agissait. J´ai appris que Nabil avait vingt-trois ans, l’âge de mon fils, et était mort tué par balles. Cela m´a doublement touché, parce que toute mort violente, quelle qu´en soit la raison, est toujours injuste et intolérable. J´ai lu ensuite les articles de presse qui couvraient l´événement et le communiqué de la maire d´arrondissement.
Comme d´habitude, la couverture médiatique a montré une image déformée et caricaturale d´un quartier estimé sensible : grand banditisme, délinquance, voyous. Toujours la même rhétorique guerrière et méprisante, un florilège de lieux communs et de clichés que les média nous resservent à chaque mort et « règlement de comptes »- Surtout ne pas réfléchir aux racines du problème, surtout ne pas donner une autre image des « quartiers ». Pour peu, on pourrait croire que Saint-Blaise ressemble à une favela brésilienne.
Quant au communiqué de la maire, consternation. Discours sécuritaire, sourd, enfermé dans des convictions prétendues républicaines. Là aussi, caricature, loin de considérer les habitants comme des citoyens à part entière, on les traite en administrés, en populations à mater, à faire rentrer dans le rang. Ecouter leur parole, leur revendication à être traités en égaux : hors de question. Mauvaise graine, mal intégrée, mal intentionnée que seul le renforcement du dispositif policier peut calmer.
Mais qui donc alors se pose la question du pourquoi de cet enchainement meurtrier, de cette violence sociale qui sévit dans notre pays, de ces injonctions paradoxales qui nous rendent petit à petit fous et inaptes à saisir la complexité des problèmes et les enjeux de société qui sont derrière ? Que doit-on penser quand les armes parlent ? Qu´il est grand temps de nous poser les vrais problèmes, d´écouter la souffrance des uns et des autres, de donner les moyens non de pacifier à la hussarde, mais de faire confiance aux gens pour ensemble et avec eux, imaginer des solutions qui n´alimentent pas le cercle de la violence et de la stigmatisation outrancière.
Car il est dommage que la tolérance dans ce pays ne soit qu´un discours creux de façade, il est dommage que la diversité des origines et des confessions soit sans cesse facteur de dissension et de propagande pour faiseurs de haine, mais il est encore plus dommage que soit toujours tracée une frontière entre les bons et les méchants qui fait que la vie d´un jeune des quartiers ne vaut rien et que l´on trouve normal sa mort, bien fait pour lui penseront les bien-pensants. Non, sa mort est aussi notre affaire, car la politique, avec un petit p, pas le grand P des professionnels de l´arnaque électorale, c´est l´art de vivre ensemble et de gérer ensemble la cité, et au niveau local, le quartier. Certes les racines du mal sont profondes mais ce n´est pas en arrosant l´arbre de la haine et de la discrimination que nous les arracherons. C´est en revendiquant haut et fort de n´être plus des administrés, mais des citoyens. Ce n´est pas de policiers et de forces supplémentaires de l´ordre dont a besoin Saint-Blaise, mais qu´on donne réellement les moyens aux habitants de s´impliquer concrètement pour améliorer leur quotidien.
Tiré du journal Paris20 infos et lutte de classe n°3 (14 mars 2012) :
Gare aux gorilles Chroniques de la jungle urbaine
Si vous passez par la place Gambetta, vous avez sans doute déjà aperçu ce curieux manège : plusieurs voitures bleu marine, quasi noires, remplies d’hommes aux physiques impressionnants: gros bras, gros pectoraux, gros ventres, regards bovins et mines patibulaires. Ils portent un uniforme qui ressemble à celui des flics mais estampillé, comme leurs voitures, du sigle GPIS. Il s’agit, comme on s’en doute en les voyant, d’une police privée : le Groupement Parisien Inter-bailleur de Surveillance – GPIS, « je pisse » pour les intimes. Inter-bailleur parce que cette police privée ne s’occupe que des HLM, plus précisément des jeunes des HLM. Créé en 2004, le groupe surveille aujourd’hui plus de 75000 logements. Leur travail consiste en plusieurs tâches de surveillance : attendre un coup de téléphone d’un résidant en HLM, pour se rendre sur place à une quinzaine d’agents ; faire des rondes dans les halls, les caves et les parkings ; seconder des interventions de police.
Dans son discours, le groupe cherche beaucoup à se distinguer de la police, il parle de proximité, de contact avec les habitants, d’une très bonne formation de leurs agents. Il rappelle sans cesse qu’ils ne font pas d’arrestations et qu’ils ne sont pas armés. La réalité n’a rien à voir : leur seul contact avec les habitants est celui des coups de téléphone des « poukaves », contents d’avoir à qui se plaindre des « jeunes » qui « traînent ». Leurs uniformes sont identiques à ceux de la police voire plus noirs encore. Ils interviennent à quinze la nuit : drôle d’interlocuteurs, drôle de proximité. Quant à la question de leur armement, grâce à Claude Guéant, les GPIS peuvent depuis décembre être armés de tonfas (la matraque des CRS) et de gazeuses. Les agents sont en plus, pour la plupart, d’anciens militaires, flics, gendarmes ou vigiles formés au combat à main nue ; leur présence est hyper-violente et génère de nombreuses tensions qu’ils mettent ensuite sur le dos des jeunes.
Leur travail, sous prétexte de tranquillité, est de harceler les habitants des HLM la nuit, puisque ceux qui galèrent sont censés dormir pour retourner tôt au travail. Ils ouvrent les halls et les parkings à la police, organisent de véritables battues, en rabattant les jeunes vers elle hors des espaces communs des logements sociaux. En effet, curieusement, quand le GPIS a un problème la police n’est jamais très loin. Leurs actions sont coordonnées, la police privée fait de la sous-traitance pour la « vraie », fouille les moindres recoins à la recherche de drogues, disperse en permanence les rassemblements, menace et menace encore. À Saint-Blaise par exemple, les GPIS servent à justifier les interventions de la police, ils passent provoquer les jeunes puis, à la moindre insulte, la BAC (Brigade Anti-Criminalité) intervient. Les GPIS, toujours plus nombreux, ont d’ores et déjà très mauvaise réputation auprès des jeunes qu’ils ciblent et le rapport de force se renverse parfois: 55 agents de sécurité ont été blessés au cours des deux dernières années.
Il est intéressant de voir qu’on s’occupe si bien de la sécurité des pauvres, on aurait plutôt pensé que ce genre de milice apparaîtrait dans le 16e plutôt qu’à Saint-Blaise. Mais cette police privée est bien là, contre les gens qui habitent dans les immeubles qu’elle surveille. Ses victimes sont toujours des jeunes qui ont la mauvaise idée de se retrouver devant chez eux.
Son travail est avant tout psychologique : les GPIS sont là pour occuper l’espace, leur présence en si grand nombre ne rassure personne, elle est sensée effrayer ceux qui ne restent pas chez eux. « Rappeler l’autorité du bailleur », comme le dit si bien le site de la milice. C’est-à-dire rappeler aux pauvres que même chez eux ils ne sont tolérés qu’à certaines conditions.